Dans notre quête quotidienne d’efficacité, d’inspiration ou de réussite, nous avons tous tendance à admirer les parcours des personnes qui ont réussi. Pourtant, ce réflexe peut nous jouer des tours. Il s’agit du « biais du survivant », un piège cognitif qui influence nos décisions, nos analyses et même notre vision du monde.
Comprendre ce biais, c’est se donner les moyens de prendre de meilleures décisions, plus rationnelles et plus justes.
Qu’est-ce que le biais du survivant ?
Le biais du survivant est un biais de sélection qui consiste à se concentrer uniquement sur les personnes, entreprises ou objets qui ont réussi, tout en ignorant ceux qui ont échoué ou disparu en cours de route. Cette focalisation sur les « survivants » nous pousse à surestimer les chances de succès d’une initiative ou d’un comportement, car nous oublions la masse invisible des échecs (1,2).
Prenons un exemple simple : nous analysons les habitudes des entrepreneurs célèbres pour en déduire les clés du succès. Mais en nous concentrant uniquement sur ceux qui ont réussi, nous négligeons tous ceux qui, ayant suivi les mêmes routines, n’ont pas connu la même fortune (2). Résultat : notre vision est faussée et nos conclusions sont biaisées.
Origines et exemples célèbres
L’un des exemples les plus marquants du biais du survivant remonte à la Seconde Guerre mondiale. L’armée américaine souhaitait renforcer ses avions de combat en étudiant les zones les plus endommagées sur les appareils revenus de mission. Logiquement, il aurait fallu renforcer ces zones…
Mais le statisticien Abraham Wald a compris que les avions revenus étaient justement ceux qui avaient survécu malgré les impacts. Il fallait donc renforcer les zones peu touchées sur les avions rentrés, car un impact à ces endroits empêchait tout retour (3).
Ce raisonnement contre-intuitif illustre parfaitement le biais du survivant : nous avons naturellement tendance à ignorer les « disparus », ceux qui n’ont pas survécu au processus, faussant ainsi notre analyse.
Pourquoi tombons-nous dans ce piège ?
Nous sommes tous influencés par ce biais, car notre cerveau privilégie ce qui est visible, tangible et facilement accessible. Les réussites sont mises en avant, racontées, célébrées. Les échecs, eux, restent dans l’ombre, oubliés ou tus. Ce phénomène est renforcé par les médias, les réseaux sociaux et même les études scientifiques, qui ont tendance à publier les succès plutôt que les échecs.
Cette vision partielle de la réalité nous pousse à croire que la réussite est plus fréquente qu’elle ne l’est réellement. Nous oublions la « partie immergée de l’iceberg » : tous ceux qui ont échoué, malgré des efforts ou des stratégies similaires.
Conséquences du biais du survivant
Les conséquences de ce biais sont multiples et parfois lourdes :
- Surestimation des chances de succès : Nous pensons qu’il suffit de copier les gagnants pour réussir, oubliant que beaucoup ont échoué en suivant la même voie (2,4).
- Décisions biaisées : En entreprise, en investissement ou dans nos choix personnels, nous pouvons prendre des risques excessifs, persuadés que la réussite est à portée de main.
- Stratégies inefficaces : Les conseils issus uniquement des « survivants » peuvent être inadaptés, car ils ne tiennent pas compte des facteurs d’échec.
- Perte de lucidité : Nous oublions d’analyser les causes profondes des échecs, ce qui limite notre capacité à apprendre et à progresser(3,4).
Comment repérer et éviter le biais du survivant ?
Heureusement, il existe des moyens simples pour limiter l’influence de ce biais dans notre vie quotidienne :
- Prendre du recul : Avant de tirer des conclusions, demandons-nous si nous avons une vision complète de la situation. Qui sont les absents de notre analyse ?
- Chercher les données manquantes : Essayons d’inclure dans notre réflexion les cas d’échec, même s’ils sont moins visibles ou moins valorisés (4).
- Analyser les causes d’échec : Comprendre pourquoi certains n’ont pas réussi est souvent aussi instructif, voire plus, que d’étudier les succès.
- Utiliser des échantillons représentatifs : En statistiques, il est crucial de ne pas se limiter aux « survivants », mais d’intégrer l’ensemble des données disponibles (1,4).
- S’inspirer, mais avec discernement : Les histoires de réussite sont motivantes, mais elles ne doivent pas nous faire oublier la réalité du terrain et la difficulté du parcours.
Le biais du survivant dans différents domaines
Ce biais ne concerne pas que la réussite professionnelle ou entrepreneuriale. Il est présent dans de nombreux domaines :
- Investissement financier : Les fonds d’investissement performants sont souvent mis en avant, mais on oublie les nombreux fonds qui ont disparu après de mauvais résultats (6).
- Santé et médecine : Les traitements efficaces sont étudiés sur les patients survivants, mais il faut aussi tenir compte de ceux qui n’ont pas survécu ou qui ont eu des effets secondaires graves (4).
- Formation et éducation : Les écoles ou cursus prestigieux affichent leurs taux de réussite, mais qu’en est-il de ceux qui ont abandonné en cours de route (3) ?
- Innovation et technologie : Les startups à succès sont célébrées, mais la majorité échoue sans faire de bruit (4,6).
Pour conclure…
Le biais du survivant est un piège subtil, mais redoutable. En nous concentrant uniquement sur les réussites, nous risquons de surestimer nos chances, de prendre de mauvaises décisions et de passer à côté de précieuses leçons.
Pour progresser, nous devons apprendre à regarder l’ensemble de l’iceberg, à valoriser autant les échecs que les succès, et à construire nos stratégies sur une vision complète et honnête de la réalité.
Pour aller plus loin, nous pouvons :
- Lire des études de cas sur les échecs dans notre domaine.
- Chercher des témoignages de personnes ayant échoué et analysé leurs erreurs.
- Prendre l’habitude de remettre en question les conseils « miracles » issus des seuls gagnants.
En cultivant cette lucidité, nous renforçons notre capacité à prendre des décisions éclairées, à apprendre de toutes les expériences et à avancer, ensemble, vers des succès plus solides et plus durables.
Portez-vous bien et à bientôt !
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